Valérie Bert
Juillet Août 2003
Givememore : http://osmos.free.fr/
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Valérie Bert travaille, depuis plusieurs années, à des
projets plastiques qui sollicitent plus que l'attention des spectateurs, leur
participation active. Elle a co-fondé le groupe des " Acolytes
de l'Art ", dont les performances supposaient toujours un contrat avec
le public, notamment dans la série des " gestes économie
". S'il est une idée qui sous-tend sa contribution au champ de
l'art contemporain, c'est celle d'un partage utopique (elle-même forge
le néologisme " eutopique ") avec des personnes qui acceptent
ses propositions. " Voulez-vous jouer avec moi ? ". Il s'agit de
construire un espace parfait, parfaitement aimable, où le réel
ne serait en rien l'opposé de l'imaginaire, où la contrainte
d'être là ne contrarierait pas la possibilité d'être
ailleurs.
Dès lors, peu importe la médiation : dessin, écriture,
photographie, vidéographie, système multimédia, tout
est bon à son affaire, rien n'est parfait. Il ne saurait être
question que d'un brouillon, d'une approximation, puisqu'il s'agit de rien
de moins que d'atteindre le cur d'une relation aux autres, à
l'autre singulier, à tous et à chacun.
On peut sourire de la prétention du geste ou de la naïveté
de l'engagement. Il prend, effectivement, à rebrousse-poil l'esprit
du temps. Rien de méchant, rien de pervers, rien d'agressif, de transgressif,
si ce n'est la transgression, précisément, de cette appropriation
des discours refoulés, des signes de l'affect direct, de la tendresse
heureuse, ce goût d'une simplicité enfantine et ronde. L'artiste
tente de refaire le monde, à sa manière, dont il faut éprouver
l'efficacité. Valérie enfile sa robe de femme enjouée
et drôle ; la voici qui pose un il amoureux sur la surface du
monde pour tenter de l'adoucir. Elle désaltère la mer, ajoute
des pétales aux roses, change la direction du vent
C'est-à-dire
que le monde, déjà si magnifique (" il reste quelque chose
de rouge ", " il reste quelque chose de lumineux ", est subrepticement
perfectionné. Elle lui demande d'être plus gai, plus beau, plus
généreux. Elle lui fait subir une série de douces opérations,
sorte de chirurgie esthétique, tendre scalpel
. Il en résulte
une accumulation hétéroclite dont l'intérêt paradoxal
est que chaque image vaut moins pour elle-même que pour ce qu'elle cache
et ce qu'elle dévoile. Dans la circulation du regard, de la photographie
épinglée aux images virtuelle du site " osmos ", l'objet
ne compte plus vraiment puisqu'il est toujours susceptible d'être remplacé,
enrichi (comme on dit du plutonium), complété, et que cette
entreprise, qui s'identifie au désir, n'atteint jamais son but, qu'elle
n'est jamais comblée.
" Give me more" n'est pas vraiment une exposition (au sens où il s'agirait d'exposer des uvres, des résultats), c'est une entreprise passionnée, pulsionnelle. Une accumulation de vecteurs en direction d'un moment de bonheur, l'aspiration à une jouissance inédite, à une extase à venir. La clef est entre les mains des visiteurs. A eux de s'engager, de découvrir les itinéraires et de les emprunter. Des photographies intimes, (il ne s'agit pas d'art photographique), des sites Internet (il ne s'agit pas de technologie informatique) sont autant de portes à franchir. Tout comme les vidéos qui bafouillent d'émotion en présentant des gestes éloquents, en fait de simples ébauches de réalisation du projet, qui est un work in progress. Comme si leur auteur n'en revenait pas elle-même de ce qu'elle fait. Avec peu de moyens et beaucoup de sensibilité, il est possible d'influencer le cours des choses. Comme dans la physique quantique, l'attention portée au phénomène le modifie intrinsèquement. Un peu d'attention portée aux tangible en modifie les tenants et les aboutissants, en dévoile d'infinies potentialités Encore une fois, il ne saurait s'agir de produire quoi que ce soit, de rien fabriquer, Valérie Bert cherche à s'introduire - avec ceux qui souhaitent l'accompagner- dans un monde parallèle, d'une proximité insoupçonnable. Sous la réalité, et sans jamais nier celle-ci, elle découvre les ramifications d'une subtile organisation poétique, les nervures d'un pays sans frontières qui est, à la fois, son monde et le nôtre, espace privé rendu public, circulation aller-retour du dedans au dehors.
La navigation entre les images est à la fois active et passive, créative et contemplative. Sans doute, cet univers est à portée de main, il préexiste au geste artistique qui, pourtant, est seul à en permettre l'accès. Au fond, et c'est là l'admirable, l'artiste, dans sa tentative d'améliorer le monde ne s'est pas oubliée elle-même. Elle a été jusqu'à modifier son propre regard, perfectionner son il, qu'elle a rendu infiniment plus bleu. La présence d'un regard de synthèse amène, dans le champ de vision du regardeur, des images auxquelles il n'avait jamais songé. L'appropriation qui est ainsi offerte est une sorte d'ouverture mentale, de satori visuel. " On connaît le bruit de deux mains qui se frappent " dit le koân du bouddhisme zen, " mais quel est le bruit d'une seule main ? ". On connaît les beautés de la nature et les chefs d'uvre des musées, dit, ici, la plasticienne, mais qu'est-ce que l'art a oublié de faire ? Et quelle est la beauté de ce qu'on ne regarde pas, de ce qu'on n'a jamais vu ?
Olivier Goetz